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jeudi 14 mars 2019

«AU CHILI, PAS DE RECONNAISSANCE POUR LES PERSONNES QUI ONT LUTTÉ CONTRE LA DICTATURE»


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LE CHILIEN RICARDO PALMA, RÉFUGIÉ POLITIQUE,
À PARIS LE 12 MARS 2019.
PHOTO BRUNO CHAROY
Pour «Libération», le militant de gauche chilien Ricardo Palma Salamanca revient sur ses années de résistance et sur sa vie en France, où il a obtenu le statut de réfugié politique.
«Au Chili, pas de reconnaissance pour les personnes qui ont lutté contre la dictature»
Olivier Bras
COUVERTURE 
D'«UNE ÉTREINTE DU VENT, CHILI»
| Mai 2019 | 14x22 | 256 pages | 25 €
ISBN : 979-10-96930-01-2 
Après vingt-et-un ans ans de clandestinité, le Chilien Ricardo Palma Salamanca est réapparu à Paris mi-2017. Avec trois camarades du groupe armé Front patriotique Manuel Rodríguez (FPMR), l’ex-guérillero s’était fait la belle le 30 juin 1996 de la prison de haute sécurité de Santiago en sautant dans une nacelle accrochée à un hélicoptère. Et après cette évasion spectaculaire organisée par le FPMR, il avait coupé tous les liens avec son pays et gardé un silence médiatique absolu.

Agé de 49 ans, il vit désormais en France où le statut de réfugié politique lui a été accordé en novembre dernier, ainsi qu’à son ex-compagne et leurs enfants. Cette décision se fonde essentiellement sur le fait que cet ex-guérillero n’a pas eu droit à un procès équitable au Chili, dans les années 90, malgré le retour de la démocratie, et que ses aveux lui ont été extorqués sous la torture. Arrêté en 1992, il a été condamné à plusieurs peines de prison à vie pour différents assassinats politiques et un enlèvement perpétrés au début des années 90 au moment où débute la transition démocratique.

S’il se garde bien de parler des différents crimes pour lesquels il a été condamné au Chili. Ricardo Palma Salamanca a, en revanche, accepté d’accorder une interview à Libération. Il revient sur ses années de cavale, passées essentiellement au Mexique, et son passé de combattant au sein du FPMR, mouvement chilien d’extrême gauche qui a été le bras armé du Parti communiste. Le Front avait été créé en 1983 pour résister par la force à la dictature. Au début des années 90, le FPMR a renoncé à l’action violente, à l’exception d’un groupe de dissidents dont faisait partie Ricardo Palma.

Pourquoi vous avez décidé de venir en France clandestinement mi-2017 ?

C’était une décision extrême, la seule qui pouvait nous permettre de continuer à avoir une vie normale. La police nous avait repérés au Mexique. Nous sommes partis à Cuba. Mais la solidarité qui a existé avec les révolutionnaires chiliens a changé avec l’évolution politique du Chili et nous aurions pu devenir un problème pour les autorités cubaines. La France était probablement le seul pays qui pouvait nous offrir l’asile. Surtout que presque toute la famille de mon ex-compagne (Silvia Brzovic) vit ici et que nous pouvions recevoir beaucoup de soutien. On est arrivés à l’aéroport (de Roissy) avec nos enfants, comme n’importe quels passagers. On avait reçu certaines consignes avant de voyager et on a demandé l’asile tout de suite. On a dit aux policiers qui nous étions véritablement.

Vous étiez certain d’obtenir l’asile en France ?

J’avais du mal à y croire. J’ai vécu vingt-deux ans dans la clandestinité, sous différentes identités, dans plusieurs endroits. La situation mondiale a tellement changé durant cette période que je ne pensais pas vraiment pouvoir recevoir une forme de protection de la part d’un État.

Vous avez été emprisonné pendant près de cinq ans au Chili. Avez-vous eu peur de repartir en détention là-bas ?

La prison a été une expérience monstrueuse. J’ai ressenti une volonté permanente de vengeance politique contre les derniers combattants qui étaient encore debout. À partir de 1988, une certaine forme de lutte contre la dictature a commencé à être abandonnée. Des négociations ont débuté, à la demande de l’hégémonie dictatoriale qui voulait continuer son projet d’une autre manière. Beaucoup de gens ont accepté. Pour moi, arrêter de lutter était une forme de trahison envers ceux qui étaient tombés.

Regrettez-vous certains de vos actes commis pendant vos années de lutte ?

Les décisions se prennent dans un contexte donné, avec les outils dont on dispose. Il ne s’agit pas de renier son histoire. Je suis rentré au FPMR un peu avant mes 17 ans. J’y ai connu une configuration culturelle, politique et idéologique qui m’a amené à penser d’une certaine façon et il était très difficile de modifier ce schéma. Il est impossible de regretter d’avoir lutté contre une tyrannie. Je m’en sens très fier. Sans cette expérience, je ne serai pas la personne que je suis. Au Chili, il n’y a pas de reconnaissance pour toutes les personnes qui ont lutté contre la dictature, qui ont résisté en utilisant des moyens différents.

Une demande d’extradition du Chili a été rejetée par la justice le 23 janvier. À quelle vie aspirez-vous en France ?

Une vie tranquille. J’ai mené une vie normale là où je me trouvais mais toujours avec la peur profonde et intense d’être arrêté. Tant d’années passées en clandestinité amènent à garder un certain nombre de réflexes ou d’habitudes. Je dois les perdre car je n’ai plus à m’enfuir. J’ai pas mal de blessures à soigner. J’ai eu la chance d’avoir survécu, contrairement à d’autres camarades qui ne sont pas arrivés au bout du chemin.

Vous êtes invité au salon du Livre de Paris où vous présentez un livre qui sera bientôt publié en France. Vous l’avez écrit pendant votre cavale ?

Il s’agit de la traduction d’un livre sur notre évasion que j’ai écrit au début de ma clandestinité. Il a été publié au Chili en 1997. À l’époque, j’avais envoyé le texte par courrier électronique. Aujourd’hui, ce livre (1) est un moyen de financer les frais de défense en France (liés à la procédure d’extradition). J’ai écrit un autre ouvrage [publié en 2001, ndlr] sur l’histoire du FPMR, en mélangeant fiction et faits réels. Et je travaille actuellement sur un troisième qui sera un récit plus personnel. Olivier Bras

(1) Une étreinte du vent, Chili (Editions Tiresias-Michel Reynaud).