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samedi 16 octobre 2010

Chili : un chef-d'oeuvre de relations publiques

Une sensibilité nouvelle
Lyrique, jouant d'une sensibilité ouvriériste qu'on ne lui connaissait pas, ce président de droite, élu de justesse début 2010, a dénoncé les conditions de travail des mineurs, vitupéré les compagnies minières, et affirmé que le Chili ne sera plus jamais le même pays, après cette odyssée des 33 mineurs « qui nous ont servi une leçon de vie »...
La gestion des attentes du public a été magistrale. On a commencé par dire que ça pourrait prendre jusqu'à trois ou quatre mois pour les délivrer – peut-être jusqu'à Noël! – de façon à faire baisser l'impatience et les attentes. Or, entre le moment où on apprend que les mineurs ont survécu à l'effondrement de leur mine – le 22 août – et leur spectaculaire libération, il s'est écoulé sept semaines.
Tout au long de ces semaines, Piñera ne ménage pas ses efforts. Il mobilise un état-major de crise. Multiplie les déclarations encourageantes... mais sans jamais promettre la lune, ni le succès assuré à 100 %. Dès le lendemain de l'éboulement, le 6 août, il dit : « Mon gouvernement fera tout ce qui est humainement possible » pour les ramener à la surface. Et lorsqu'on a qu'on a le premier signe de vie des mineurs, c'est lui qui, devant les caméras, brandit le message manuscrit remonté par une sonde jusqu'à la surface.
Et puis dans les jours qui suivent, lui, l'homme de droite, le milliardaire capitaliste élu par 51 % des voix – la moitié bourgeoise et conservatrice du pays – il approuve le renvoi des responsables de la mine, condamne les employeurs négligents, dit qu'il instaurera et fera appliquer des réglementations plus strictes. Il bloque une subvention de 10 millions de dollars pour la compagnie propriétaire de la mine.
Il fait pression en faveur d'un sauvetage plus rapide – mais toujours discrètement, sans le dire trop fort. Il recherche l'aide de l'étranger – la NASA est allée prodiguer ses conseils, le Canada a fourni une aide logistique – sans pour autant perdre le crédit de toute l'opération.
Un pays plus uni
Une crise admirablement jouée... qui lui permet aujourd'hui d'affirmer que le Chili en sort plus uni que jamais. Ce qui est sans doute vrai.
Tout ce drame, avec sa conclusion bouleversante, a été vécu à l'unisson par tous les Chiliens. Dans un pays qui, depuis longtemps, est politiquement coupé en deux. Un pays où, jusqu'à récemment, une moitié de la population détestait la mémoire d'Augusto Pinochet, le dictateur, mais où l'autre moitié la chérissait... et ne voulait rien savoir de Salvador Allende, le grand symbole de la gauche, évincé violemment par Pinochet en 1973.
Issu, de par sa famille, des réseaux pinochétistes proches de l'ancien dictateur, Piñera a mis à profit cette crise pour tenir un discours social qu'on avait rarement entendu à droite. Pour marquer des points sur le plan politique, bien entendu. Mais aussi, on peut le dire, pour unifier vraiment le pays, et tirer d'un tel drame un bénéfice pour la nation. Pour que la gauche et la droite, au Chili, ne soient plus des ennemis, mais plutôt des adversaires, voire des partenaires.
Malgré une économie à deux vitesses que nous a dramatiquement rappelée ce drame des mineurs de l'Atacama, le Chili de Sebastian Piñera a voulu nous montrer qu'il appartient désormais au premier monde. Avec cette opération menée de main de maître, techniquement et politiquement, il suscite aujourd'hui l'admiration dans le monde entier.
Le mot de la fin au cinéaste américain Michael Moore, ébahi par ce qu'il a vu : « La prochaine fois que nous aurons un problème d'écoulement dans le Golfe du Mexique..., on appellera au Chili! »