«Nous venons de subir une nouvelle secousse il y a une demi heure à peine...» Au bout du fil, Jean-Luc Praz témoigne de ce que la population chilienne vit au quotidien depuis trois semaines. Chaque jour, entre quatre et cinq répliques du terrible séisme font trembler le pays et ses habitants. «Les gens sont vraiment à bout de nerfs. A chaque nouveau bruit dans le lointain, on ressent cette peur... On ne sait jamais si la réplique sera de magnitude 5, 6 ou 7. C'est dur de reprendre le cours de sa vie...»
Des Clèves à Patagual
Après avoir sillonné l'Amérique du Sud sac au dos au début des années 90, Jean-Luc Praz est tombé amoureux du Chili - ou plutôt de l'une de ses jeunes ressortissantes - en 1992, au hasard d'une sortie au cinéma. «Je me suis retrouvé assis à côté d'une belle jeune femme... qui est devenue mon épouse peu après», raconte-t-il. Après quelques années passées à constamment changer de continent, il décide en 1999 de s'établir dans le village de Patagual, à 30 kilomètres de la ville de Concepcion. «J'y ai monté ma boîte de développement de sites internet. Ce n'est pas une grosse entreprise, mais nous avons produit le plus grand nombre de sites internet dans la région.» Une vie bien réglée qui aurait très bien pu voler en éclats le 27 février dernier.
«Un bruit infernal»
Le tremblement de terre de magnitude 8,8 a surpris Jean-Luc Praz et son épouse dans leur sommeil, à 3 h 34 du matin. «On ne savait pas si c'était un cauchemar...Toute la maison bougeait sur ses fondations. Tout ce qui n'était pas fixé s'est mis à voler, livre, bouteilles, miroirs, bibelots... Le bruit était infernal. Nous avons pu sortir, en pyjama, par la porte-fenêtre de notre chambre et trouver un endroit découvert où nous ne risquions pas de nous faire écraser par la chute d'un arbre.» Si l'expérience a été traumatisante, la famille de Jean-Luc Praz fait partie de celles à n'avoir pas subi de trop lourdes pertes, humaines ou matérielles. «Le gros problème, l'urgence principale actuellement est que beaucoup de personnes n'ont plus de toit, vivent sous tente. L'hiver approche. Dès le mois de mai, les températures chutent et les pluies se mettent à tomber. Il faut trouver une solution au plus vite.»
La vie au ralenti
Selon le Gouvernement chilien, il faudra entre trois et quatre ans pour que la situation se régularise dans le pays. Près de deux millions des personnes ont été touchées par la catastrophe et environ 300 000 habitants n'ont toujours pas accès à l'eau courante. «Dans notre région, le problème principal est que des trois ponts qui permettent de traverser le fleuve Bio Bio pour circuler entre Concepcion et San Pedro de la Paz, un seul est encore pratiquable. Un intinéraire qui nous prenait dix minutes, nécessite aujourd'hui entre une à deux heures de voiture selon le trafic. La vie se déroule au ralenti, à moitié...» Des bouchons interminables donc, qui suscitent des scènes d'hystérie spectaculaires. «Ce que l'on voit dans les films catastrophe, des gens qui oublient toutes les règles de circulation ou de vie en société, les pillages, tout ça je l'ai vu...» A tel point que dans son quartier, le voisinage a organisé des gardes armées durant quelques nuits. «La population a très mal vécu ces scènes de pillage... Au lieu de mettre notre énergie à aider les autres, à reconstruire, nous avons dû la mettre à nous protéger. C'est triste. Nous ne sommes pas passés très loin de la guerre civile, mais la situation se tasse gentiment.»
Futur incertain
Lorsqu'on lui demande enfin si ce drame remet en cause sa vie au Chili, Jean-Luc Praz avoue avoir pensé à rentrer au pays. «Ça m'a effleuré. J'ai ici mon affaire qui tourne, mais depuis le séisme, les propositions se font rares... Nous avons encore du travail jusqu'en juin, mais après, c'est l'incertitude. J'ai cependant pu remarquer que c'est dans les moments de crise que viennent les meilleures idées, donc je garde espoir...»