"Je te parie que celle-là était de magnitude 4,9", avance Nelson après une secousse en milieu de semaine. "Non, ça doit avoir atteint 5 !", rétorque à ses côtés Juan Bernales, conforté un peu plus tard par les services sismologiques.
Les habitants de Concepcion se sont mués en experts en sismographie au bout d'un mois, et de centaines de répliques du séisme de magnitude 8,8 -l'un des plus puissants en un siècle- du 27 février à 3H34, suivi d'un tsunami sur le proche littoral. Ils ont fait 452 morts et 96 disparus.
Dans Concepcion "la grise", surnom qu'elle doit à son climat et ses façades, maussades, l'activité la plus forte est celle des travaux, omniprésents: des engins lourds et camions enlevant des gravats, des ouvriers sur les toits, des électriciens affairés sur l'éclairage public.
Ici de petits monts de décombres, une maison écroulée, là des rues fermées à cause d'une faille, d'un bâtiment menaçant de s'effondrer, voisinent avec des terrasses de café pleines, des magasins ouverts, des embouteillages à l'heure de pointe.
Concepcion l'indemme coexiste avec la sinistrée. Ou l'observe, comme cet édifice-symbole devenu un lieu de visite: un immeuble de 15 étages, affalé d'un bloc sur le dos, et où 10 personnes ont péri, 80 parvenant à s'extraire.
Non loin, aux portes de la ville, 35 familles campent encore dans un parc. Leur immeuble n'est pas tombé, mais les lézardes qu'il arbore les dissuadent de rentrer. Comme eux, quelque 70.000 foyers chiliens attendent des maisonnettes en bois, en cours de livraison par les autorités.
"Je sais que d'autres en souffert plus que nous, mais on n'en peut plus dans le campement, entre les rats, les infections", s'impatiente Roberto.
"Au centre commercial, des gens font du shopping, nous ici on en bave", se lamente Daniel, sans emploi depuis la destruction de son magasin qu'il aide son patron à déblayer au centre-ville. "C'est comme s'ils avaient oublié, comme s'il ne s'était rien passé".
Mais même chez ceux qui n'ont rien perdu, personne n'a oublié. Le séisme du 27 février alimente conversations, rumeurs, croyances.
"J'ai entendu dire que la Terre cherche à se replier sur elle-même, s'ajuste. Si ça continue, la ville pourrait s'ouvrir littéralement, devenir une île, voire disparaître", avance fiévreusement Luis, qui vient se mêler à la conversation.
"Si cela ne tremble plus pendant plusieurs heures, c'est dangereux. Cela signifie qu'une forte secousse va venir", affirme Juan Bernales, péremptoire.
"Les gens avancent, mais ils sont préoccupés, par ce qui se dit dans les nouvelles, par la possibilité de quelque chose de bien pire", résume un policier de Concepcion.
A la fois rassurants, et signe d'anormalité, des soldats, en armes et bien en vue, patrouillent les rues par deux ou trois: l'agglomération et son demi-million d'habitants demeurent depuis un mois sous couvre-feu nocturne, même s'il a été réduit, de 23H00 à 6H00 du matin.
Près de 15.000 militaires furent déployés dans la région après les pillages des jours suivant la catastrophe. "Les gens nous remercient d'être là, nous demandent de ne pas quitter la ville", assure un conscrit. Pas encore tout à fait prêts pour la normalité.