Pour celui du 27 février, je n'étais pas au Chili, mais dans ma maison de Californie. Pourtant, malgré les quelque 10 000 kilomètres de distance, j'ai vécu le séisme de très près. C’est mon premier tremblement de terre télévisé, chargé d’images horribles retransmises par la télévision publique chilienne TVN. J'ai vu la dévastation et l'horreur. J'ai vu des Chiliens stoïques et courageux. Des héros aussi, qui ont risqué leur vie pour sauver un voisin, parfois même un inconnu. J’ai vu le professionnalisme des journalistes, et le calme de la présidente Michelle Bachelet à son arrivée à l'Office national d'urgence. J’ai à nouveau mesuré toute sa popularité et l’amour que lui porte notre peuple. Je me suis rappelé aussi le discours apaisant du président Salvador Allende la nuit du 8 juillet 1971. Lors de ce séisme, il y a presque quarante ans, j'avais 17 ans et j'étais en voiture avec des amis. Nous avions tous été très touchés par les mots d'Allende. Par son appel au calme, sa présence, son engagement en faveur des victimes.
Mais le tremblement de terre de 2010 a été beaucoup plus puissant et beaucoup plus dévastateur que celui de 1971. Et ce qui le rend plus choquant encore, c’est l'immédiateté avec laquelle la tragédie a été diffusée en images sur le câble et par messages instantanés sur Internet. Les épisodes moins glorieux, comme les pillages ou la révélation de défauts de construction, sont choquants eux aussi, et douloureux. Dès le 27 février, plusieurs journalistes étrangers m’ont appelé pour m’interroger sur les conséquences économiques du tremblement de terre. Ma réponse a été simple et directe : nous ignorons encore l’ampleur des dégâts et des destructions, mais il ne fait aucun doute que les conséquences seront colossales. L'effort de reconstruction devra être énorme.
A cet égard, je pense que les autorités doivent se conformer à plusieurs règles. La première, et peut-être la plus importante, est que l’heure n’est pas aux rigidités et à l’orthodoxie en matière budgétaire. Reconstruire le Chili coûtera cher, et il faut l’assumer. L’Etat devra payer une partie non négligeable de ces coûts sans hésiter. Il est important de comprendre, quoi qu’en disent certains, qu’il est possible d’augmenter considérablement les dépenses publiques sans pour autant mettre en péril la stabilité macroéconomique ou la réputation du pays. Et ce pour des raisons simples : grâce au travail formidable des ministres Eyzaguirre et Velasco [Nicolás Eyzaguirre a été ministre des Finances entre 2000 et 2006, Andrés Velasco lui a succédé] et , le Chili n'a pour ainsi dire pas de dette publique. Autrement dit, le gouvernement jouit d’une gigantesque marge de manœuvre pour contracter des dettes à peu de frais sur les marchés financiers. Il doit en profiter sans tarder. Sans compter que les travaux de reconstruction sont des dépenses à réaliser "d’un seul coup", ce qui signifie qu'ils ne représentent pas une pression permanente sur le budget de l'Etat.
Le deuxième point important tient aux normes et aux règles de construction. On a là l’occasion de les réformer et de les améliorer, même si j’estime que celles actuellement en vigueur sont, pour l’essentiel, adaptées. Le problème est ailleurs : certains promoteurs, qui ne sont certes pas la majorité, ont décidé de traiter ces normes par-dessus la jambe. Ces entreprises doivent être sanctionnées avec toute la rigueur de la loi. Seules des sanctions exemplaires permettront d’éviter que ces manquements se reproduisent. Le troisième aspect lié au processus de reconstruction concerne les infrastructures autoroutières. Il faut admettre que le système de concessions privées, mis en place lorsque Ricardo Lagos était au ministère des Transports, a parfaitement fonctionné. Il pourrait certes être consolidé ici ou là, mais il est essentiel de le maintenir pour les réparations et améliorations des infrastructures.
D'autre part, et c’est là le quatrième point, il importe de comprendre que ce processus de reconstruction doit être l’occasion d’améliorer et d’accélérer les procédures de permis de construire. Selon la Banque mondiale, le Chili se classe 66e en termes d’efficacité de ces formalités, ce qui n’est vraiment pas à la hauteur de ses capacités. Cinquième point : le processus de reconstruction et les appels d’offres pour les travaux doivent être transparents et écarter le moindre soupçon de favoritisme ou de corruption. Si le nouveau gouvernement doit se montrer vigilant dans un domaine, c’est précisément dans celui de la probité [le nouveau président élu, Sebastián Piñera, est un homme d’affaires milliardaire]. Mais n’oublions pas que la qualité architecturale des constructions en dit beaucoup sur l’esprit et le tempérament d'un pays. C’est pourquoi, lorsque la reconstruction sera lancée, il faudra bâtir des édifices à l’architecture marquante, voire imposante. Des immeubles dont nous puissions nous sentir fiers et qui suscitent l’admiration dans le monde entier. Des bâtiments qui, chaque jour, nous rappellent la grandeur du peuple chilien.