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CAMILA VALLEJO LORS D'UNE MANIFESTATION À SANTIAGO DU CHILI. AOÛT 2011 |
Ce que Camila Vallejo appelle le « printemps du peuple chilien » débute il y a trois mois dans les universités de la capitale et d'ailleurs. Ici, pour s'inscrire à la fac, la plupart des étudiants doivent lourdement s'endetter. Un jour, ils disent "Basta !". Et de sécher cours et examens pour peindre leurs revendications sur les banderoles. Ils veulent une éducation gratuite et de qualité. A force de pavés battus, le mouvement se durcit, s'étend et, comme un détonateur, secoue d'autres catégories de la société chilienne, secteur public en tête. Ils réclament au très impopulaire président conservateur et milliardaire Sebastian Piñera des réformes à un ordre social et politique en partie hérité de la dictature d'Augusto Pinochet, de 1973 à 1990.
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Point d'orgue de la grogne, deux jours de grève nationale la semaine dernière endeuillés par la mort d'un étudiant. C'est du jamais-vu depuis le retour à la démocratie en 1990. « Il est temps de changer de système politique, de système économique, afin de parvenir à une redistribution plus juste du pouvoir et des richesses », explique Camila Vallejo à Reuters.
"Nous sommes tous amoureux d'elle"
Dotée d'un charisme indéniable et bonne oratrice, la jeune communiste sait convaincre. Il y a quelques mois, cette étudiante en géographie est élue à la tête de la Fédération des étudiants chiliens. En 105 années d'existence du syndicat, elle est la deuxième femme à occuper ce poste. En juin, son organisation contribue à faire descendre des milliers de jeunes dans les rues de Santiago et d'autres villes chiliennes. Elle est de tous les cortèges, de tous les plateaux de télévision. A chacun, inlassablement, elle explique avec calme leur quotidien, leur colère. Son discours n'est pas le seul qui séduit. Son visage fin et ses yeux bleu-vert conduisent des milliers de personnes, étudiants ou pas, à se dire prêts à la suivre jusqu'au bout.
« Nous sommes tous amoureux d'elle », a dit à son sujet le vice-président... bolivien. Et Alvaro García Linera d'encourager les autres jeunes d'Amérique latine de suivre la voie tracée par Camila Vallejo. Les plus conquis vont jusqu'à lui dédier des odes sur You Tube. L'une de ces vidéos est une succession de clichés de la belle brune. Camila qui sourit, Camila l'air grave, Camila qui tient une banderole, Camila haranguant la foule. La jeune révolutionnaire agace aussi. Sur le Net, certains se jouent de sa plastique qu'elle ne met pourtant pas en valeur. Elle leur rabat tant bien que mal le caquet en reconnaissant que oui, certains viennent sans doute à ses discours pour sa plastique mais qu'elle a ensuite tout loisir de leur transmettre ses idées. D'autres la mettent en scène dans des montages grossiers avec le ministre de l'Education Felipe Bulnes.
« Si on tue la chienne... »
Mais cet agacement dépasse la moquerie facile derrière l'écran d'ordinateur. Récemment, elle et sa famille ont été placées sous protection policière suite des menaces physiques. L'une d'elles est venue d'une responsable du ministère de la Culture. Cette femme, Tatiana Acuña avait écrit sur son Twitter au sujet de Camila Vallejo : « Si on tue la chienne, on se débarrasse de la portée ». Une phrase de sinistre mémoire prononcée par le général Pinochet, le 11 septembre 1973, jour du coup d'Etat contre le président Salvador Allende. Tatiana Acuña a présenté ses excuses mais a quand même été virée.
Avec un tel parcours, nombreux sont ceux prédisant à Camila Vallejo un bel avenir politique. Pour le moment, elle botte en touche. Chaque chose en son temps, répond-elle en substance. Prochaines étapes de ce « printemps du peuple chilien » : une rencontre syndicats étudiants-président Pinera prévue mardi et une nouvelle manifestation le 11 septembre. Nul doute que la « Che Guevara » du XXIe siècle sera en tête du cortège.
Le point sur les revendications
La contestation étudiante pour une réforme de l'éducation a réveillé des pans de la société qui réclament à présent des réformes à un ordre social et politique en partie hérité de la dictature. Jamais, depuis le retour de la démocratie il y a 21 ans, des secteurs de la société, comme les étudiants, ouvriers, ménages des classes moyenne, n'avaient paru aussi unis dans une contestation comme celle qui a culminé en 48 heures de grève générale mercredi et jeudi.
Les revendications touchaient, pêle-mêle, au code du travail, au régime des impôts, à l'éducation, la santé, au changement de la Constitution de 1980, qui reste héritée du dictateur Augusto Pinochet, malgré d'importantes réformes depuis. « Il s'agit aujourd'hui de (demandes pour) changer jusqu'à la légalité même du système institutionnel hérité de la dictature, dans le modèle d'éducation, le modèle socio-économique, le modèle politique », analyse pour l'AFP Manuel Antonio Garreton, sociologue de l'Université catholique.
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PORTRAIT DE CAMILA VALLEJO À SANTIAGO DU CHILI. AOÛT 2011 |
En cause aussi, le système électoral, favorisant à outrance deux blocs, et excluant les minorités, un système sanctionné par les jeunes : 75% des 18-29 ans n'étaient pas inscrits sur les listes aux élections générales de 2009. « La population est excédée de la façon dont le pouvoir se distribue et s'exerce, et davantage que de petites réformes, ce qui est demandé est un changement des règles du jeu », résume l'analyste politique Jorge Navarrete, dans une chronique du quotidien La Tercera. (Avec AFP)