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lundi 8 août 2011

COMMENT LES VAMPIRES REPÈRENT-ILS LEURS PROIES ?

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LA CHAUVE-SOURIS VAMPIRE, DESMODUS ROTUNDUS, DOIT TROUVER UN REPAS DE SANG CHAQUE 1-2 JOURS POUR SURVIVRE. DES DENTS TRANCHANTES COMME UN RASOIR ET DES ORGANES ENVIRONNANT SON NEZ AIDENT LA CHAUVE-SOURIS À RÉALISER SON BUT.
PHOTO DOCTEUR PASCUAL SORIANO
Contrairement à la croyance populaire, elles ne s’attaquent que très rarement à l’homme, bien qu’on ait signalé au moins un cas de rage contracté par un gardien de troupeaux qui s’était mis pieds nus avant de s’endormir à l’ombre d’un arbre.

Les biologistes de l'Université de Californie à San Francisco savaient déjà que la chauve-souris localise sa victime endormie en se guidant par le bruit de sa respiration (ralentissement du rythme respiratoire) et en faisant appel à sa mémoire, comme semblent l'indiquer des attaques répétées sur les mêmes têtes de bétail. En revanche, iIs ignoraient quels mécanismes le vampire avait développé pour trouver aussi sûrement où mordre sa cible pour se nourrir, lui prélevant au plus deux cuillerées à soupe de sang (environ 10 ml).


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LE DOCTEUR DAVID J. JULIUS, SPÉCIALISTE EN BIOLOGIE MOLÉCULAIRE ET MÉDECINE DE L'UCSF, QUI A DIRIGÉ LA RECHERCHE. PHOTO SUSAN MERRELL 
Contrairement aux chauves-souris frugivores, les vampires ont un museau court et conique surmonté d’une sorte de déflecteur, muni de capteurs thermiques à infrarouge capables de déceler la température, comme cela se passe chez certains serpents. L'un de ces récepteurs, une protéine baptisée, tel un espion, du nom de code TRPV1, s'active lorsque la température dépasse 43° C.

UNE PROTÉINE POUR DÉTECTER LA CHALEUR

Il s’agit en fait d’une protéine qui, chez les autres espèces de mammifères, sert à les empêcher de se brûler. Les chercheurs viennent de découvrir que le vampire commun, Desmodus rotundus , a développé au cours de son évolution un usage unique et inconnu jusqu'alors de cette protéine.

Tout se passe au sein de son impressionnant museau, qui a contribué à lui donner une réputation effrayante. En plus du capteur thermique ordinaire, ce vampire est équipé d’une grande quantité d'un autre capteur, une version allégée du premier en quelque sorte, qui s'active à une température beaucoup plus basse, autour de 30° C.



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CAROLLIA BREVICAUDA EN VOL. PRIS DANS LA COLOMBIE.
PHOTO DIEGO LIZCANO DANS WIKIPÉDIA
Cette spécificité génétique du vampire commun explique sa capacité à détecter une source de chaleur à 20 centimètres de distance et « à distinguer l’endroit où les veines sont les plus proches de la surface de la peau », estime David Julius, spécialiste en biologie moléculaire, auteur de l’étude publiée dans la revue Nature. Une particularité génétique qu'on ne retrouve pas chez une proche cousine, la carollie soyeuse (Carollia brevicauda) qui se nourrit de fruits, ni chez d’autres qui s’alimentent de nectar ou d’insectes, et n'ont donc pas besoin d'un sens thermique surdéveloppé.

Du point de vue de l’évolution des êtres vivants au cours du temps, l'étude confirme aussi des analyses moléculaires très récentes montrant que la chauve-souris est génétiquement plus proche de la taupe, du chien, de la vache que de l’homme et des rongeurs, contrairement à ce qu'a longtemps laissé croire la classification des espèces fondée sur des critères purement anatomiques.

LOCOMOTION SUPERSONIQUE

Les chiens, vaches, cochons et taupes, qui appartiennent au groupe des Laurasiatheria , tout comme les chevaux ou les dauphins, ont en effet le potentiel génétique pour produire cette variante de TRVP1. Les lapins, souris, singes et humains (groupe des Euarchontoglires) en sont, eux, totalement incapables. L'an dernier, David Julius avait déjà expliqué comment certains serpents (boas, pythons et crotales) ont développé un sens infrarouge à partir d'une variante d'une autre protéine réceptrice, TRPA1, qui n'est pourtant pas habituellement sensible à la chaleur.

Il y a quelques semaines, un autre travail de biologistes des universités du Maryland et de l’Ohio publié dans la revue américaine PNAS, a révélé une autre sophistication des chauves-souris. Il s’agit de la présence quasi invisible à la surface de leurs ailes de poils microscopiques (100 à 600 micromètres de longueur, 0,2 à 0,9 micromètre de diamètre) qui, terminés par des récepteurs tactiles, renseignent en temps réel le cerveau de la chauve-souris sur la pression de l’air, la direction et la force du vent et lui permet d’atteindre une vitesse de 1,2 mètre par seconde.

Ultrasons, capteurs infrarouges, capteurs de pression et de vitesse, quand les chauves-souris s’arrêteront-elles de nous émerveiller ? Il est loin le temps où, plus d’un siècle avant la découverte de l’écholocalisation, trois illustres biologistes du XVIIIe, Cuvier, l’abbé Spallanzani et Louis Jurine, s’apostrophaient au sujet de la façon dont les chauves-souris s’y prenaient pour se repérer dans l’espace. Comment auraient-ils pu avec les moyens de l’époque comprendre les mystères de la locomotion quasi « supersonique » des chauves-souris ?

DENIS SERGENT