Il sera un des quatre invités de la table ronde Rue89, pour laquelle nous sollicitons vos questions.
« Un nom de torero », « Le vieux qui lisait des romans d'amour », « Rendez-vous d'amour dans un pays en guerre » : des titres qui disent d'eux-mêmes le ton Sepulveda. La nostalgie, la poésie, le réalisme magique typiquement sud-américain, le sens du combat.
Condamné à s'exiler en Suède, il s'arrête en Argentine
1975 : Luis Sepulveda a vingt-quatre ans lorsque, militant à l'Unité populaire (UIP), il est condamné à vingt-huit ans de prison par un tribunal militaire chilien pour trahison et conspiration. Son avocat, commis d'office, est… un lieutenant de l'armée. Il venait de passer deux ans dans une prison pour détenus politiques.
Libéré en 1977 grâce à Amnesty International, il voit sa peine commuée en huit ans d'exil en Suède. Il n'ira jamais, s'arrêtant à l'escale argentine du vol.
Sepulveda va arpenter l'Amérique du Sud : Equateur, Pérou, Colombie, Nicaragua. Il n'abandonne pas la politique : un an avec les Indiens shuars en 1978 pour étudier l'impact des colonisations, engagement aux côté des sandinistes de la Brigade internationale Simon-Bolivar en 1979.
Il devient aussi reporter, sans abandonner la création: en Equateur, il fonde une troupe de théâtre dans le cadre de l'Alliance française.
Il arrive en Europe, en 1982. Travaille comme journaliste à Hambourg. Ce qui le fait retourner en Amérique du Sud, et aller en Afrique. Il vivra ensuite à Paris, puis dorénavant à Gijon en Espagne. Le militantisme, toujours : entre 1982 et 1987, il mène quelques actions avec Greenpeace.
« Je n'ai pas fait un repas sans secousses, depuis un mois »
Lorsque vous le verrez au Salon du Livre, dont il est un des 90 invités d'honneur, Sepulveda reviendra du Chili. Où il a acheté une maison, 150 km au nord de la capitale Santiago du Chili. Il était sur place au moment des élections, et aussi durant le récent séisme.
Dans un mail à son éditrice française il y a deux jours, il évoquait ce drame, survenu dans un contexte de changement de pouvoir au Chili. Il disait aussi : « Je n'ai pas fait un repas complet, sans secousses, depuis un mois », et en signalait de niveau 7 sur l'échelle de Richter toute les deux heures.
Si vous avez lu Sepulveda, vous connaissez sa vie. Ses romans mêlent roman noir, histoire des peuples premiers, dictature de Pinochet bien sûr, guerres et conflits dans toute l'Amérique latine, hommages aux écrivains et poètes du XXème siècle.
Ses personnages sont tous des guerilleros militants, qui ont perdu des combats et l'ont payé de leurs exils. De quoi les former à une altérité dénuée de tout dogme : l'amour, la rencontre, mais aussi les espaces, la nature, et le respect de l'histoire d'un lieu.
Ce dernier peut être un hôtel en forêt amazonienne (une nouvelle de « La Lampe d'Aladino »), la jungle où vivent les Indiens shuars (« Le vieux qui lisait des romans d'amour »), la Patagonie du merveilleux « Un nom de torero ».
A travers ses livres, qui se font de plus en plus ironistes au fur et à mesure, Sepulveda fait un travail de mémoire chilienne bien sûr, mais in fine un travail de remise en cause personnelle.
« Je suis l'ombre de ce que nous avons été »
Une remise en cause qui est au centre de « L'ombre de ce que nous avons été », paru en janvier aux Editions Métailié. Un roman à tiroirs, qui oscille entre récit cocasse, mémoires militantes, polar déjanté et fable politique.
« Je suis l'ombre de ce que nous avons été et nous existerons aussi longtemps qu'il y aura de la lumière », dit un des personnages, petit-fils d'un homme qui réalisa le premier braquage de la Banque du Chili à Santiago.
Plus de trente-cinq ans après le coup d'Etat de Pinochet du 11 septembre 1973, trois ex-militants de gauche se retrouvent dans un vieux hangar d'un quartier abîmé de la capitale.
Ils sont cassés par la défaite, usés par l'exil, mais décidés à agir dans ce pays qu'ils retrouvent. Une énergie qui nous vaut des festivals de répliques sonnantes. Ils mangent du poulet industriel acheté à « Poulets non stop ». Ils préparent une action, qui sera un écho au braquage cité plus haut.
Le cours du livre est modifié par un vieux tourne-disque qui tue un passant. Donnant à voir ces jeunes policiers « pas encore nés ou étaient trop petits pour pratiquer la torture ou s'allier aux narcotrafiquants ».
Deux Chili se téléscopent ici. Et pour Sepulveda, c'est aussi une manière de refaire écrire l'Histoire par les perdants. Alors qu'elle est souvent écrite par les vainqueurs pour l'édification et le dressage des vaincus. D'où la cocasserie, la grâce, l'humour, la puissance.
Rencontres Rue89
► L'écrivain sera donc un des invités du débat Rue89 au Salon du Livre. Intitulé « Identités mondiales – le monde vu par… », il réunira :Leonora Miano (« Les Aubes écarlates », Plon, 2009)Véronique Ovaldé (« Ce que je sais de Vera Candida », L'Olivier, 2009)Mathias Enard (« Zone », Actes Sud, 2008)Luis Sepulveda (« L'ombre de ce que nous avons été », Métailié, 2010).Bienvenue à vos questions à Luis Sepulveda, ainsi qu'aux autres auteurs dans les commentaires à cet article. A vos claviers ! Par ailleurs, à l'heure où sont écrites ces lignes, il reste encore quelques entrées gratuites pour ce débat.
► Rencontre Rue89 au Salon du Livre espace « La Place des Livres » - mardi 30 mars 17h-18h.